Archives de Catégorie: Poésie
Pascale présente Leurres et lueurs, de Birago Diop
“Quand réveillant la terre d’El-Kanésie
D’impossibles miracles s’accompliront
Les lumières jaillissant de vos fronts
Rendront à votre Afrique sa frénésie.”
ISBN : 978-2-7087-0619-4
Éditeur : Présence africaine
Date Parution : 13/02/2002
Nombre de page : 83
Présentation de l’auteur et plus par là
Birago Diop est né en 1906 à Ouakam, un quartier de Dakar au Sénégal. Il est décédé en 1989 à Dakar.
Birago Diop était vétérinaire, il a également occupé un poste d’ambassadeur à Tunis.
Il est l’auteur des célèbres Contes d’Amadou Koumba, publiés aux éditions Présence Africaine, où le merveilleux et le réel sont intimement liés. L’un de ces contes, L’os, a été porté à la scène et son succès ne s’est jamais démenti depuis lors.
Les poèmes les plus modernes et les plus profondément africains de Leurres et lueurs ont été inspirés par des contes.
Poésie, conte, théâtre telle est la diversité et aussi la richesse de l’œuvre de Birago Diop, qui ne s’est pas outre mesure préoccupé de distinction ni de classification des genres littéraires.
Présentation de l’œuvre complète c’est ici
Un court recueil qui nous plonge dans les méandres d’une mélancolie où le rêve retient les souvenirs. Une poésie empreinte d’ombres et d’angoisses, au goût de terre africaine et d’océan. Des textes courts, intenses et profonds teintés d’une grande sagesse.
Extraits du recueil
J’ai pris plaisir à découvrir cet auteur et je vous livre des textes, mais vous invite à le lire entièrement en cliquant sur ce lien
Puis si comme moi, la découverte plus approfondie d’un auteur vous titille, alors RDV ICI
N’hésitez pas à naviguer sur ces pages, il y a maintes lectures ou écoutes à votre disposition, des contes, et poèmes etc…
PLAGE
Un grand soleil, un soleil de soir éblouit
Sur l’Océan que blanchissent les volutes,
L’embrun comme de vains rêves s’évanouit
Dissipé par la folle fuite des minutes.
Dans les recoins où l’Inconscient s’enfouit
D’indistinctes questions naissent et luttent
Et le murmure des vagues semble un Oui
Aux plus angoissantes qui hantent la Brute.
La voix de la mer en moi obscurément
Réveille l’écho d’autres voix angoissées
Et je sens avoir pensé, en d’autres temps,
Les éternelles et défuntes pensées
Qu’elle roule dans son grand linceul mouvant
Et que jadis les vagues ont cadencées.
DYPTIQUE
Le Soleil pendu par un fil
Au fond de la Calebasse teinte à l’indigo
Fait bouillir la Marmite du Jour.
Effrayée à l’approche des Filles du feu
L’Ombre se terre au pied des pieux.
La Savane est claire et crue
Tout est net, formes et couleurs.
Mais dans les Silences angoissants faits des Rumeurs
Des Bruits infimes, ni sourds ni aigus,
Sourd un Mystère lourd,
Un Mystère sourd et sans contours
Qui nous entoure et nous effraie…
Le Pagne sombre troué de clous de feu
Étendu sur la Terre couvre le lit de la Nuit.
Effrayés à l’approche des filles de l’Ombre
Le Chien hurle, le Cheval hennit
L’Homme se terre au fond de la case.
La Savane est sombre,
Tout est noir, formes et couleurs,
Mais dans les Silences angoissants faits des Rumeurs.
Des Bruits infinis ou sourds ou aigus,
Les Sentes broussailleuses du Mystère
lentement s’éclairent
Pour Ceux qui s’en allèrent
Et pour Ceux qui reviennent.
SAGESSE
Sans souvenir, sans désirs et sans haine
Je retournerai là-bas au pays,
Dans les grandes nuits, dans leur chaude haleine
Enterrer tous mes tourments vieillis.
Sans souvenirs, sans désirs et sans haine,
Je rassemblerai les lambeaux qui restent
De ce que j’appelais jadis mon cœur
Mon cœur qu’a meurtri chacun de vos gestes ;
Et si tout n’est pas mort de sa douleur
J’en rassemblerai les lambeaux qui restent.
Dans le murmure infini de l’aurore
Au gré de ses quatre Vents, alentour
Je jetterai tout ce qui me dévore,
Puis, sans rêves, je dormirai – toujours –
Pascale présente Le sang visible du vitrier, de James Noël
“je suis celui qui se lave les mains avant d’écrire”
Poète-vitrier, né à Hinche (Haïti) en 1978, James Noël est considéré aujourd’hui comme une voix majeure de la littérature haïtienne. Ses poèmes sont dits et mis en musique par des interprètes de renom tels Wooly Saint-Louis Jean, Pierre Brisson et tant d’autres.
Entre un hymne engagé à l’amour et une colère orageuse, se dégage de sa poésie, comme il se plaît à l’appeler, la « métaphore assassine ».
« Un vent salé nous vient du large avec la poésie de James Noël. Poésie toujours à double tranchant, sensuelle et tendre, violente et douce, âpre et sensible, poésie généreuse, soucieuse d’avancer, de partager le lot commun avec ses frères de peine, d’étarquer cette voile déchirée, celle de l’espoir d’un monde meilleur, sans cesse à construire et dont les mots du poète sont souvent les premières pierres. »
Jacques Taurand
Écoutez des extraits de ce sublime recueil… (sur le blog de Pascale).
Il est toujours délicat de parler de poésie, tellement cette lecture reste une sensation et une émotion personnelles plus qu’un avis de lecteur.
« Nous ne sommes pas de cette rue
ne sommes pas de ce village
sommes pas de ce pays
pas de ce monde »
Dans les mots de James Noël tout se reflète et se fait écho, résonnent les blessures de son île, chante la sensuelle mélopée de l’amour.
Des textes en forme libre, empreints d’une force magistrale, nous emportant sur les hauts des vagues, puis dans l’apaisement de la passion, nous échouons comme enivrés d’un chant venu d’une culture colorée, chaude et sonore.
La spirale poétique tour à tour nous interroge et nous surprend agréablement, dans cette envie de lire à haute voix ces poèmes pour mieux entendre l’écho de l’auteur.
Tout à l’image du vitrier, il joue avec la fragilité et la transparence des mots pour mieux nous offrir la pureté et la clarté d’un instant poétique brodé sur la frange d’une mélodieuse sensibilité.
La brisure se ressent, le tranchant du verre nous effleure, et pointe alors la blessure profonde jaillissant au cœur du texte. Le sang coule dans les ravines d’un vécu, dans l’extrême douceur, l’auteur fait part d’un talent sans pareil à nous partager une certaine impuissance à nous épargner cette écorchure à vif, il y jette des vérités mais avec la délicatesse du poète en exergue : les rues / ces piétons de ma vie / que me circulent de travers / pierres et poussières m’ont lapidé / statue de sel en poudre fine / je suis le corps mort sur l’asphalte / ce fantasme de ma terre rebelle / ma terre de sang / dru maquillage / qui fait la une aux abattoirs.
Sur l’autre face de la vitre se mire la chaleur humaine, le chant sensuel de la passion, l’appel de l’amour dans un rêve sans fin : Le soleil que m’inventent tes seins / m’éclaire en pays de rêve d’allumettes / souffre qu’à la lune je colle une aile / pour maintenir juste équilibre / et que je pose une lampe / chaude confidence / dans un fond caché de la mer.
Il se livre à nu, sans pudeur ni honte, transparence d’une envie de crier au monde entier ce besoin de partager ses maux : Mes maux je vous les livre / jetez les livres puisqu’il ne s’agit pas d’écorce d’encre / ni de sèves bleues de poète d’îles / écartelées / mes maux / je vous les livre / prenez-les au vol / nus / comme des oiseaux sans plume / pour signer un temps / à tire-d’ailes / la lune a froid aux yeux / voilà que je vous parle sans maudire / la tempête cérébrale qui pense la mort / sous le vent / les tremblements de terre / sommant cette terre de ne pas trembler / sous la foulée des ombres folles / voilà que je vous parle / sans maudire / ma terre sur pilotis / avec du sang dans son parterre / terre ligotée.
C’est une poésie bouillonnante et franche, de cœur, de sang et de chair, de douleur et fatalité, d’amour et de passion, de blessures et de larmes, une poésie qui nous chavire et nous bouscule, nous étreint dans les bras d’un amer constat, nous sourit pourtant et nous caresse plus encore, un poète à la plume acérée glissant sur les courbes ondulantes de la vie. Un véritable chant qui se poursuit dans notre souvenir, un petit recueil à ouvrir souvent, à partager, à lire, à chanter.
Un poète à découvrir à lire, ce petit recueil m’a donné cette belle occasion et je remercie vivement les éditions Vents d’ailleurs pour ce très beau livre ainsi que toute l’équipe de Blog-o-Book.
Je vous laisse quelques liens pour affiner la connaissance de jeune poète à l’avenir prometteur.
Un article sur ce recueil : cliquez ici.
Le cœuritoire, le blog de l’auteur : cliquez là.
J’inscris ce livre au défi Poésie sur les 5 continents.
Pascale présente L’étoile qui tombit – Pardieu la belle fête !, de Gilles Durieux
L’étoile qui tombit – Pardieu la belle fête !, de Gilles Durieux
Le cherche midi, mai 2010, 144 pages, ISBN 978-2-7491-1730-0
Quatrième de couverture
De Gilles Durieux, son ami et préfacier Bernard Giraudeau écrit : « Alors on écrit la vie avec des cris accrochés à la douleur, au chagrin, à la jouissance des jours, des femmes, de l’alcool… ». Comme il a raison !
« Avec ce nouveau recueil, Gilles continue de s’exprimer sur le registre singulier qui est le sien : celui de la fraternité nostalgique, de l’amitié indéfectible, de la souffrance et du bonheur – ou des bonheurs – qu’apportent la vie. Je ne vois aucun poète, aujourd’hui, exprimant de façon aussi directe, aussi simple, aussi « populaire » (au meilleur sens du mot) cette émotion au quotidien qui est l’expression de la vie même.
Les souvenirs se bousculent, les personnages se croisent, se rencontrent et se perdent dans les poèmes de Gilles. Sous une apparente simplicité de forme et de contenu, il y a beaucoup de culture, de clins d’œil, de références multiples dans ces poèmes plus « composés » qu’il paraît. Mais Gilles nous fait oublier ce savant débraillé pour ne nous laisser à lire que la « substantifique moelle » de cette émotion nommée poésie. Fidèle à son habitude, il nous livre aussi une galerie de portraits « en creux » de tous ceux qui comptent ou ont compté à ses yeux… et ils sont légion, car je ne connais pas de Breton solitaire moins isolé que Gilles Durieux. Le vrai barde, c’est lui. Ça va « barder » !
Jean Orizet
La loco et son train
La poésie ça/ se braconne/ Des Flandres au Rhône/ De haut en bas
Les muses on les rançonne/ celles qui se nichent / sur ma péniche/ Sont à la barre / du tôt ou du tard
Avec un col bleu de marin/ des bas résille de la Liza/ il y a encore le Baron de l’écluse/qui chante en imitant quelqu’un
Dans son dimanche au bord de l’eau/ les répliques fusent / sur un bateau l’engin / réclame encore sa loco et son train
La poésie ça s’illusionne / cartonne / sur ton calepin / de petits dessins
Chantent l’eau vive / et Bapaume/ chantent le poulet d’grain/ et tous les enfants de Chaplin / que l’on compte pour s’endormir
Gilles Durieux
(suite de la présentation du recueil gagné chez Celsmoon : L’étoile qui tombit – Pardieu la belle fête !)
J’ai lu pour ne pas dire braconné ce livre à petit pas, d’un texte à un autre, j’ai souvent perdu mon latin, bousculé par des mots venus du cœur d’un poète vers ses proches, un clin d’œil par-ci et par-là à des illustres personnages, ces textes se lisent comme des dessins en trompe-l’œil.
C’est étrange, troublant et même déstabilisant de se plonger dans cette poésie d’ailleurs, on admire sans vraiment se douter ce qui se cache derrière ces poèmes, et pourtant on ressent ô combien l’humain pur et chaleureux, ambitieux et généreux tout le long du recueil.
La plume de Gilles Durieux devient des ciseaux d’argent taillant le roc brut, texte après texte, se dévoile une facette puis une autre où la lumière vient s’y mirer en toute simplicité mais avec une authenticité telle que ce roc se mue en un diamant pur et admirablement travaillé.
Des textes à l’odeur d’un vécu, d’un personnage haut d’estime, sincère qui ne fait pas de manière.
Ne tentez pas de mettre une étiquette sur cette poésie, ni forme ni principe, c’est la poésie de Gilles Durieux : belle et chantante, bousculant nos a priori poétiques, un langage unique pour un poète atypique.
Les mots en offrande se chahutent dans les vers, les rimes n’en font qu’à leur tête, et le tout devient un joyeux mélange savoureux et original qui surprend certes mais nous offre un vent nouveau aux embruns vivifiants.
Tout un recueil qui ressemble aux vagues frappant les récifs, l’écume nous laisse rêveur, le bruit fracassant nous rend un peu pantois, alors que la fraîcheur nous laisse en éveil prêt à affronter la prochaine déferlante.
Une poésie qui swingue, caracole et fanfaronne, sous un petit air américain, il faut avoir le pied marin, et vogue ce joyeux rafiot vers une lecture d’aventure.
Chapeau bas Monsieur Durieux !
La préface de Bernard Giraudeau est sublime, elle est poème, une entrée en matière qui nous met déjà du vague à l’âme (début de la préface).
« Il fut un jour, un beau jour sans doute, je ne me souviens d’aucun nuage, d’une pluie, peut-être lumineuse, bleue.
J’étais sans conscience, mon maître. Je t’ai glissé des mots en attente. Et tu as murmuré les tiens. Un vent d’Ouessant, Belle-Ile, je ne sais plus, nous dispersa. Il ne restera rien de nos empreintes, des ombres dessinées sur une mémoire tenace. Un jour, au coin d’une page sans brume, je te revis, ami. Tu me reçus comme une crique et nous nous ‘lîmes’ du verbe lire, bien sûr, aucune râpe en ces lignes, que des douleurs après ponçage des mots, des bois flottés en chapelet sur les vagues. »
J’inscris ce livre au challenge de la Poésie sur les 5 continents.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 4 juillet dans Les mots de Pascale, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Pascale.
Catherine présente Silence, la queue du chat balance, de Patrick Bertrand
Silence, la queue du chat balance est un recueil de poésie de Patrick Bertrand illustré par Serge Ceccarelli et paru en avril 2002 aux éditions Actes Sud Junior dans la collection Des poèmes plein les poches (8 €, 61 pages, ISBN 2-7427-3753-7).
J’ai ouvert ce petit livre par hasard et j’ai lu le premier poème : Une âme.
« L’œil est un éclair,
La griffe, une lame,
Regard clair
Et patte de velours,
Le chat est une âme,
Une histoire d’amour. »
Très émue, j’ai compris qu’il fallait que je le lise !
Finalement, nous l’avons lu en famille et tout le monde a véritablement apprécié ce recueil, idéal non seulement pour les enfants mais aussi pour les adultes.
26 poèmes, beaux, intelligents, tendres, drôles ou tristes, en vers ou non, joliment illustrés avec les couleurs qui siéent aux félins, 26 poèmes qui sont tous une porte d’entrée vers l’âme des chats.
Lecture commune avec Edwyn (sa note est un peu différente de la mienne).
Lecture pour le challenge Poésie sur les 5 continents, continent Europe.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 21 juin dans La culture se partage, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Catherine.
Lee Rony présente Visages noyés, de Janet Frame
Rivages poche / Bibliothèque étrangère, 2004, 308 pages, ISBN 2743612398
Faces in the water (1961) est traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Solange Lecomte (1963).
Certes le défi Poésie sur les 5 continents, comme son nom l’indique, concerne la poésie mais en explorant l’œuvre de Janet Frame j’ai découvert le roman dont le titre est celui de cet article.
L’auteur y scanne la réalité, souvent sordide, de l’enfermement psychiatrique, au point qu’il apparaît que qui y rentre saint d’esprit ne semble pouvoir en sortir autrement que dément. Nous voyons la (sur)vie au quotidien de Fiona, Sheila, Mary-Margaret et tous les autres dont leurs efforts pour demeurer vivants, sinon pensants, dans un cadre leur murmurant continuellement qu’ils ne sont plus ni l’un ni l’autre ! Les visages traduisent le flou de consciences fragmentées et dans leurs regards nous devinons des âmes rongées par l’acide de pensées qu’elles ne peuvent maîtriser.
Nous entendons les cris des malades et les grincements des portes, à moins que ce ne soit le contraire… Nous sentons la rétention des camisoles, le grésillement des électrochocs, nous apercevons des silhouettes errantes, spectres en attente d’une mort salvatrice, nous regardons par-dessus l’épaule d’infirmières dissimulant leur répulsion sous un masque de méchanceté, ainsi la société cache-t-elle sa peur derrière de hauts murs.
Qu’est-ce que la folie, est-elle dans le crâne de cette femme qui regarde par la fenêtre un spectacle qu’elle ne peut décrire, dans les gestes de celle-ci dessinant un invisible portrait ou dans le commentaire froid et technique d’un spécialiste ?
Et puisque je pose la question j’y réponds : le troisième est le pire !
Comment survivre dans ce monde terrifiant (l’asile) sinon en créant son univers, comment survivre dans le monde atroce (le nôtre) sinon en s’inventant un ailleurs supportable, un blog peut-être. Mais qui vit du bon côté des barreaux ?
À se demander si le monde n’est pas plus beau vu par la fenêtre d’un asile psychiatriste…
Diagnostiquée schizophrène en 1945, après avoir été profondément traumatisée par la mort de ses deux sœurs par noyade à dix ans d’écart, elle sera internée pendant huit ans et subira deux cents électrochocs sans pour autant cesser d’écrire. Son premier recueil Le Lagon sera publié en 1951. Son succès lui évite une lobotomie programmée. Subissant par la suite de nouveaux examens ,il sera démontré qu’elle ne souffrit jamais de schizophrénie.
Née à Dunedin, Nouvelle-Zélande, le 28 août 1924, elle est attirée tôt par la littérature et veut devenir poète alors que sa famille la pousse à devenir institutrice, métier qu’elle tentera, en vain, d’exercer !
En 1988 elle met un terme à sa carrière après The Carpathians.
Au final elle publiera un recueil de poèmes, cinq de nouvelles et onze romans. En 1990 Jane Campion adaptera son autobiographie Un ange à ma table au cinéma. En 2004 elle meurt d’une leucémie sans avoir eu le prix Nobel auquel elle fut proposé l’année précédente.
Dommage, pour le Nobel !
Cette chronique de lecture est originellement parue le 15 mai dans Lire au nid, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Lee Rony.
Lee Rony présente Fiteny Roa, en deux langues, de Rado
Fiteny Roa, en deux langues : anthologie de poèmes, de Rado
Bilingue malgache/français ; Imprimé à Madagascar, 2005, 201 pages
Georges Andriamanantena (Madagascar)
Né le 1er octobre 1923 à Antanarivo et mort le 15 septembre 2008, il était le dernier né d’une famille de cinq enfants. En 1929, il fait son entrée à l’école de Faravohitra à Antananarivo. En 1933, année du décès de sa mère, il rentre à l’école d’Ambohijatovo Atsimo jusqu’en 1941. L’année suivante, il intègre le collège Paul Minault. D’abord comptable dans une société d’assurance, il rejoint son frère à la rédaction du journal « Hehy » (rires). En 1960, à Strasbourg, il fait des études de journalisme, métier qu’il exercera jusqu’en 1978 avant de se consacrer à la littérature et d’être employé par le ministère de la Culture et de l’Art Révolutionnaire. Son premier recueil paraît en 1973 sous le titre Dinitra et, préfacé par son frère, il contient ses thèmes fétiches l’Amour, Dieu et la Patrie. Son pseudonyme : Rado vient du proverbe malgache « Voahangy mitohim-bolamena raha misarak tsy ampy ho RADO » (Des perles liées par un fil d’or, si elles sont séparées on n’obtient plus un collier, ou rado).
D’expression malgache et défenseur de la culture, Rado sortit dix ouvrages contenant ses poèmes, tous au programme du secondaire malgache. Citons parmi ses œuvres Dinitra (sueur), Zo (droit), Sedra (épreuve)… Ça n’en fut pas une de découvrir cet auteur dans le cadre du défi Poésie sur les 5 continents.
Membre de l’Académie malgache, il était aussi peintre, graveur et sculpteur. Il composera même une vingtaine de chants religieux ! Militant du parti d’opposition AKFM avant l’Indépendance, il n’hésite pas à prendre le contre-pied des prises de positions de son parti.
Il laisse une veuve et six enfants (4 filles et 2 garçons) et 26 petits et arrières petits-enfants.
« Laissez donc se casser les oreilles qui se cassent
En entendant les cris qu’on ne peut étouffer
Mais pour nous, il nous faut ensemble réclamer
Le droit et le statut d’une même égalité »
« Avela izay sofina vaky ho vaky
Mandre antsoantso tsy azo tsindriana
F’isika rehetra tsy maintsy mitaky
Ny zo sy ny satan’ny fampitoviana »
(17 mai 1969)
Ne lui dites rien
« Vous allez la voir, mais… Qu’elle ne sache rien de ma peine
Elle ne doit rien savoir
Des cruelles morsures qui ont déchiré mon âme…
Dans les rets qu’elle m’avait tendus,
Et de mon cœur en suée qui m’étouffe à minuit
Quand je songe à mon sort !
Si elle s’enquiert de moi,
Pour une fois mentez !
Dites-lui que mes pensées l’ont complètement oubliée
Et que les fleurs ont recouvert les cendres du passé
Brûlé par les feux de la passion
Comme ces journaux intimes que vous voyez là.
Taisez ma vieillesse blanche et ridée.
M’avez-vous compris ?
J’ai encore quelque chose à vous demander :
Voyez si elle est heureuse
Voici les signes qui vous aideront :
Il y a des fleurs, roses, sûrement,
Dans sa chambre et la photo de
Son amant à son chevet.
Si vous en voyez, c’est qu’elle est heureuse,
Alors ne lui dites rien de moi
Il lui est arrivé ce que je souhaitais pour elle.
N’oubliez rien de tout cela,
Et adieu !
Oh ! Une dernière recommandation
Ne touchez nulle chose de votre main-ci
Avant de serrer la sienne.
Oui… cela suffit. Bonne route
Et refermez doucement cette porte sur mes larmes… »
(Traduction : Serge Henri RODIN)
S’il te reste encore
« S’il te reste encore ne serait-ce qu’un sourire
Pour résister à cette ironie du sort
Pourquoi, dis-moi, pourquoi tu te fais souffrir
Gaspillant ainsi les larmes de ton corps ?
S’il te reste encore ne serait-ce qu’une étoile
En qui tu vois lumière, sur qui tu peux compter
Pourquoi, dis-moi, pourquoi ton regard se voile
Durant des nuits d’hiver, pourquoi ces sentiments amers
Devant un horizon avide d’éclairage ? »
(Traduction : Voahangy Ramiejamanana ANDRIAMANANTENA)
Cette chronique de lecture est originellement parue le 3 mai dans Lire au nid, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Lee Rony.
Lee Rony présente Mes inscriptions 2 : 1945 – 1963, de Louis Scutenaire
Mes inscriptions 2 : 1945 – 1963, de Louis Scutenaire
Carnet d’indiscrétions personnelles
Éditions Allia, mai 1998, 300 pages, ISBN 2904235043
« L’esclave qui aime sa vie d’esclave a-t-il une vie d’esclave ? »
« Il y a des gens à qui la mort donne une existence. »
« La vieillesse est un alibi. »
« Je suis partagé entre mon goût pour les faits et mon goût pour l’effet. »
« Je voudrais vivre assez vieux pour savoir ce que je deviendrai. »
« Je perds souvent la tête. On ne me la rapporte jamais. »
« Il faut regarder la vie en farce. »
« La misère n’est sinistre que parce qu’elle n’est pas générale. »
« Souvent, au lieu de penser, on se fait des idées. »
« Dans ce monde, l’on n’a que la terreur pour se défendre contre l’angoisse. »
« Je méprise trop ces gens pour me déplaire en leur compagnie. »
« Le péché originel c’est la foi. »
« Si on ne me lit plus dans mille ans, on aura tort. »
« Je prends le monde tel que je suis. »
« Je ne suis pas scutenairien, c’est bien plus fort : je suis Scutenaire. »
« On dit de moi :
Il fait des calculs d’épicier : C’est vrai.
C’est un tendre : Bien sûr.
Il est dans le désarroi : Évidemment.
Comme il est détaché ! : Tiens donc !
Il est gentil : Mais oui.
Quel goujat ! : D’accord Marcel.
Il a beaucoup de talent : Le flatteur n’a pas toujours tort.
Il sent mauvais : Triste, mais possible.
Je voudrais m’offrir sa grande carcasse : Bien aimable.
Il n’est pas beau : Je le pense.
Combien il est grand ! : La toise le confirme.
Il est grossier : Merci, ma chérie.
C’est un coureur : Hum, hum !
Il est jaloux : Oui, comme Victor Hugo.
C’est un anormal : Qui ne l’est pas ?
Il s’est mal conduit : Je le crois.
Il a de l’allure : Je suis confus, vraiment, mais…
Il est fait : Il faut bien.
Il est égoïste : Je souris avec approbation.
Il est trop modeste : Oui, oui.
Il écrit très bien : Vous savez lire, monsieur.
C’est un maquereau : Le plus beau compliment.
Il se soigne comme une femme : Je le suis un peu, femme.
Il a de jolies cravates : Quelle femme de goût !
Il est propre, trop propre : On ne l’est jamais assez.
Il fait gentiment l’amour : Connaisseuse !
Il est maladif : Hélas !
C’est un beau gaillard : Oh !
Il ne sait pas aimer : Sans doute.
Il a des tics : Et vous pas ?
Quelle nouille ! : Je l’ai déjà pensé.
Mais comment se fait-il que dans ce portrait si poussé je ne me reconnaisse pas, ni personne avec moi ? »
Ainsi parla LS !
Comment l’ai-je découvert ?
Par une citation : «Je vous parle d’un autre monde, le vôtre » en exergue d’un Bob Morane lu alors que j’avais une dizaine damnée ; ainsi dois-je à Henri Vernes d’avoir découvert Jean Ray, et le fantastique, et Louis Scutenaire, de là à penser qu’il est pour quelque chose dans ce que je suis devenu… il y a un pas que je franchis avec reconnaissance. Je vous le présente avec plaisir dans le cadre du défi Poésie sur les 5 continents.
J’évoquerai HV prochainement, il le mérite (?). Au passage je remarque que JR, LS et moi sommes du même signe, ça ne veut rien dire mais c’est déjà un point commun !
Je ne suis ni poète, ni surréaliste, ni Belge !
Né à Ollignies le 29 juin 1905, il écrit ses premiers poèmes en 1916. Il fréquentera de nombreux établissements scolaires dont il sera régulièrement exclu avant de s’engager en 1924 dans des études de Droit.
En 1926 il rencontre Paul Nougé puis Magritte dont il titrera nombre d’œuvres. Plus tard, à Paris, il fréquentera André Breton. En 1938 seront recensés par Breton et Éluard dans leur Dictionnaire abrégé du surréalisme aussi bien les Textes automatiques (1931) et Les Jours dangereux les Nuits noires (1928…).
À partir de 1943 il commence Mes inscriptions somme de maximes, aphorismes, histoires, impressions et autres réflexions qui toquent à la porte de son esprit. Titre en hommage à Restif de la Bretonne qui avait ainsi nommé le recueil de graffitis qu’il avait gravés sur les quais de l’Île Saint-Louis. Ainsi pendant quarante ans Louis Scutenaire construira une œuvre puzzle atypique et foisonnante. Il parlera de tout, du reste, et d’autre chose encore. « Ne parlez pas de moi je suffis à la tâche » dit-il, ou encore « Je me suffis ; parfois il y en a même trop ».
Volontiers irrespectueux, blasphémateurs, anarchiste, admiratif de la bande à Bonnot, prônant une improbable révolution dont il sait qu’elle ne résoudrait rien il avoue lui-même : C’est probablement par conservatisme que je reste révolutionnaire ! Quoi de plus facile en effet que de jeter sur l’incendie du réel des mots qui ne font que le nourrir ? Critique du capitalisme il finit par entrevoir une nature humaine loin de ce qu’il souhaiterait, et, pour donner mon avis, quelle serait la réalité d’une société correspondant aux visions apocalyptiques des révolutionnaires ? Que nombre existent encore malgré les exemples de l’Histoire ne fait que démontrer que qui critique et vitupère change de comportement dès lors qu’il s’assoit à la table du profit.
« J’ai quelque chose à dire et c’est court » écrit-il également, et ce bien avant moi ce qui n’est pas sans me faire de la peine ! Il précise : « Mes Inscriptions sont une rivière de Californie, il faut tamiser des tonnes de sable et de gravier pour trouver quelques pépites, voire des paillettes. » Ainsi, si vous connaissez un peu ce blog, comprendrez-vous quelle filiation spirituelle me plais-je à voir entre lui et moi, la remontant même jusqu’à ce « cher Diogène » !
Il meurt le 15 août 1987 en regardant un film sur Magritte à la télévision.
« Les oiseaux viennent d’ailleurs » écrit-il, comme le regret de ne pas en être, vraiment, un !
La première leçon que donnait ce philosophe, c’était que la concision est essentielle puisqu’elle est suffisante. (…) Son œuvre ? Les bulles d’une carpe qui crèveraient entre les palettes des nénuphars pour libérer une règle de morale ou de conduite.
Frédéric Dard, Avant-propos de Louis Scutenaire, Lunes rousses, Paris, Le Dilettante, 1978.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 19 avril dans Lire au nid, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Lee Rony.
Pascale présente Tour de Terre en poésie, de Jean-Marie Henry
Tour de Terre en poésie, de Jean-Marie Henry
Rue du Monde, collection La Poésie, juillet 1998, 62 pages, ISBN 2-912084-09-1
Illustrations de Mireille Vautier
Anthologie de poésies du monde – 50 poèmes de cinquante cultures différentes dans leur langue d’origine et leur traduction en français.
Note de présentation
Une anthologie multilingue de poèmes du monde entier. Chaque texte est présenté dans sa langue originale et dans sa traduction française. Les enfants découvriront ainsi le romani, le touareg, le basque, l’arabe, le vietnamien, le turc, l’albanais, etc.
Une occasion d’évoquer de nombreuses cultures, et certains enfants s’y reconnaîtront. Une occasion, également, de situer géographiquement ou historiquement les divers poèmes. Et de constater que l’on retrouve, chez les poètes du monde entier, des préoccupations, des thèmes, des émotions similaires.
Les enfants et/ou parents pourront dire les poèmes, en français ou, pour ceux qui lisent d’autres langues, dans la version originale.
Mon voyage
Un ouvrage charmant et remarquable qui m’a fait découvrir une foule de poésies d’origine les moins attendues comme il est précisé dans la présentation, pourtant je ne dirais pas un tour de Terre, mais un tour de langues voire dialectes puisqu’on y croise l’occitan, le catalan, le breton, le corse, le créole, pour ceux qui nous sont proches et restent somme toute plus des langues que des dialectes, quant aux langues qui me sont étrangères je ne peux affirmer si ce sont des langues pures ou des dialectes : quelle est la différence je ne suis pas experte en la matière mais en croisant les noms je suis restée dans l’inconnu (voir ci-après).
On ne se contente plus de découvrir un continent mais bien des peuples particuliers avec leurs us et coutumes, leur langue, à travers leur poésie. Tout ce beau monde regroupé dans un album jeunesse avec le texte et l’alphabet d’origine, le tout agrémenté d’illustrations, c’est un très beau livre qui mérite d’être mis entre les petites menottes de nos enfants.
J’ai fait des découvertes de poètes bien sûr mais aussi de pays et de langues (cliquez sur les liens pour en savoir plus) comme (cliquez sur le nom pour lire la définition) : amharique, hindi, wolof *, peul, rundi, tamoul, singhalais, letton, khmer, nahuatl, inuktitut.
Pour vous donner un exemple de définition trouvée ici : * Le wolof (parfois écrit ouolof) est une langue parlée au Sénégal, en Gambie et en Mauritanie. Il appartient à la branche atlantique des langues nigéro-congolaises. Sa parenté avec le peul est très ancienne. Il a aussi des liens avec d’autres langues de la région comme le sérère, le diola, le bassari, le baïnouk.
Pour celles aux origines plus connues malgré tout qui m’ont surprise agréablement : Rromani, basque, touareg, arabe, vietnamien, turc, portugais, albanais, néerlandais, danois, finnois, chinois, malgache, espagnol, arménien, breton, cheyenne, russe, catalan, occitan, anglais, japonais, suédois, coréen, kurde, kabyle, corse, géorgien, navajo, quetchua, tibétain, italien, thaï, polonais, créole, hawaïen, allemand, hébreu, grec, français.
Voyez la longue liste hétéroclite, originale de textes que l’ont peu lire dans ce petit livre, 3 points forts pour cet album :
1. la diversité des langues,
2. multilingue pour tous les textes,
3. l’alphabet d’origine calligraphié.
Le texte que je vous présente n’est pas banal puisqu’il est d’origine Rromani :
Le toit de notre maison.
« Le toit de notre maison/c’est le grand ciel tout nu./Notre maison est solide/Personne ne peut la renverser.
Les fondaisons de notre maison/ c’est un coin de terre sans rien./Notre maison est solide/personne ne peut la ruiner.
Les murs de notre maison/c’est le froid et ce sont les vents./Notre maison est solide/personne ne peut l’atteindre.
À notre maison, il y a une fenêtre/À la fenêtre, tes yeux./Notre maison est solide/C’est le cœur tsigane. »
JENUZ DUKA (Rromani)
À lire ce texte, cela me rappelle le très beau roman ZOLI que je vous conseille de lire si vous souhaitez connaître le peuple ROM.
Je vous précise également, qu’il y a beaucoup d’auteurs anonymes surtout pour les origines moins connues comme khmer, ce qui me pousse à poursuivre ma découverte de tous ces peuples.
Comme j’ai une admiration pour les peuples nomades je vous mets un poème d’un seul vers :
« La Terre n’a qu’un soleil. »
ANONYME (Touareg)
Puis deux vers qui me parlent, extraits d’un poème vietnamien :
« Son âme est une lune dans la nuit avancée
moitié profonde ténèbre, moitié lueur de rêve. »
Préface pour clore cet article
Puis j’aimerais vous retranscrire la préface tout à fait concise et parfaite pour clore ce tour de terre en poésie :
« La langue que nous parlons, que nous écrivons est d’abord l’expression de ce que nous sommes, de ce que nous pensons, de ce que nous apprenons.
C’est par elle que nous posons notre regard sur le monde et que nous allons à sa rencontre.
Les autres utilisent parfois un langage qui n’est pas le nôtre. Il nous faut alors dépasser un sentiment d’incompréhension pour écouter une nouvelle manière d’exprimer ou de rêver la vie.
Par la singularité de leur musique et de leur écriture, plus de cinq mille langues participent ainsi à la beauté du monde, s’enrichissant souvent de leurs différences.
Mais comme les espèces animales et végétales, les langues de la terre sont fragiles. Si certaines dominent, c’est au détriment de celles qui disparaissent, quelquefois sans laisser de traces.
Il n’existe pourtant pas de grandes et de petites langues : chacune porte en elle le poème qui nous parle, l’émotion qui nous ressemble étrangement. »
Jean-Marie Henry
J’inscris cette lecture dans le cadre du challenge de la Poésie sur les 5 continents.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 19 avril dans Mot à mot…, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Pascale.
Laura présente Anthologie de Haïkus de poétesses japonaises
Anthologie de Haïkus de poétesses japonaises découverte à l’occasion du Printemps des poètes 2010.
Au Japon, pays profondément patriarcal, les femmes ont longtemps été écartées des activités artistiques et littéraires. Toutefois, fort heureusement, on peut relever quelques exceptions notoires : certaines dames de cour ou certaines nonnes.
Ainsi, parmi d’autres :
Sei Shônagon (XIe siècle), cette dame d’honneur qui inventa la poésie du « fragment » en composant ses admirables Notes de chevet ;
Seifu-jo (1732–1814), cette nonne bouddhiste qui écrivit dans la veine de Bashô en l’enrichissant de sa sensibilité personnelle ;
ou encore Kikusha-ni (1753–1826), cette fille de samouraï, devenue veuve à 28 ans, qui était à la fois peintre, musicienne (elle jouait du koto, cette cithare à 13 cordes) et poète.
Il faut garder à l’esprit que, par le passé, les Japonaises n’avaient pas le droit d’accéder à l’écriture chinoise (savante) ; leur était réservée une écriture spécifique, dite « écriture de femmes » (onna-de : « main féminine ») qui – belle revanche – sera à la source d’une littérature raffinée et à l’origine des signes (hiragana) employés aujourd’hui par tous les Japonais.
Parmi les poètes de haïku au Japon, l’histoire littéraire – ou plutôt une certaine historiographie réalisée par des hommes – retient peu de noms de femmes.
Cependant, à l’orée du XXe siècle, trois grandes figures féminines (ce ne sont pas les seules) se distinguent : Shizuno-jo, Hisa-jo et Tei-jo (cette finale des noms en « -jo » indique que ce sont des « demoiselles »).
Ces femmes poètes gravitent autour de la revue Hototogisu (Le Coucou), fondée par Shiki et dirigée par Kyoshi ; leur génie est aussi d’avoir réussi à émerger et à s’imposer.
Takeshita Shizuno-jo (1887-1951) ou Shizuno-jo, cette institutrice osa composer un haïku d’été sur l’épuisement et l’agacement d’une mère face à son enfant en pleurs :
Par cette nuit brève / l’enfant au sein et qui braille / si je le jetais ? *
Cet accent de franchise a choqué la société conventionnelle qui, on s’en doute, ne l’apprécia guère.
Sugita Hisa-jo (1890-1946) ou Hisa-jo dont le caractère passionné lui valut d’être exclue de la revue Le Coucou. Elle finira par s’enfermer dans un quasi-silence. Pourtant, c’est elle qui a écrit ce bel haïku à la note élégante et érotique :
Fraîcheur de la chaise / la lune perce ma robe / je ne bouge plus.
Nakamura Tei-jo (1900- 1988) ou Tei-jo qui parvient à capter cette scène sensible et à l’exact opposé de celle citée au début :
L’enfant fait pitié / au cœur de la nuit si froide / j’approche la couette.
On évitera de considérer ce dernier poème comme un « haïku de cuisine » (daïdokoro haïku), ce genre de haïku centré sur les travaux ménagers, les occupations domestiques ; bien au contraire, on y percevra une inflexion toute féminine.
Dans sa « Lettre du Voyant », Rimbaud avait audacieusement annoncé : « Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, jusqu’ici abominable – lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées diffèreront-ils des nôtres ? – Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. »
Le servage de la femme est-il fini ? Pas si sûr. Chez nous, par exemple, sur le plan du langage, pourquoi faut-il que, selon le dictionnaire, le mot « poétesse » soit considéré comme péjoratif, alors que « les langues sont des femmes », comme l’écrit superbement le fin linguiste Claude Hagège ?
Par bonheur, certains haïkistes de sexe masculin ont su prendre-comprendre l’inconnu des femmes et célébrer en 17 syllabes l’accord homme-femme à travers la chair sensible du monde. Parmi eux, Shiki, auteur de cette merveille poétique (après l’enfer rimbaldien, voici l’esquisse d’un paradis) :
Le paradis c’est / un lotus de couleur rouge / avec une femme.
Roland Halbert, président de Haïkouest.
* Les haïkus sont donnés dans la traduction de R.H.
Pour le défi Poésie sur les cinq continents de Catherine : https://defis5continents.wordpress.com/2010/03/23/laura-de-laura-vanel-coytte/.
Cette chronique de lecture est originellement parue le 13 avril dans Laura Vanel-Coytte, blog sur lequel vous pouvez lire d’autres articles de Laura.